Je vous invite aujourd’hui à une réquisition un peu particulière. Celle-ci concerne un mensonge d’état dont nous fêtons cette année les 20 ans.

Tchernobyl mon amour

Souvenez-vous. C’était il y a 20 ans. Le monde entier apprenait avec effarement que le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire ukrainienne venait d’exploser, le 26 avril 1986. C’est marrant, je n’étais pas encore bien vieux, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Je pense d’ailleurs que cet évènement influença grandement inconsciemment mes opinions anti-nucléaires d’adulte. Je me souviens aussi de cet été 1986 que j’avais passé en Corse, et avec le recul, j’en frissonne encore. On ne parlait pas encore de cancer de la tyroïde.

Souvenez-vous, suite à cette explosion, un énorme nuage radioactif survola toute l’Europe. Toute ? Non, car un pays peuplé de politiciens menteurs, de scientifiques acquis à la cause du lobby nucléaire, de groupes agricoles plus soucieux de la santé de ses finances que de la santé de ses consommateurs, résista et résiste encore au nuage. Ce nuage, pourtant, n’en déplaise aux présentateurs météo complaisants de l’époque, il ne s’est pas arrêté à la frontière par la magie de je ne sais quel pseudo anticyclone. Ce nuage a plus ou moins traversé le tiers est de notre territoire, et surtout la Corse. Mais voilà que, ironie de l’Histoire, l’Etat français imposait (et impose encore aujourd’hui, comme nous le verrons plus tard) une omerta à la population corse.

Car aujourd’hui, nous avons toutes les preuves.

Preuves que les mesures de radiation et les alertes ont été sciemment sous évaluées ou cachées. Preuve qu’un certain nombre de personnages importants, que nous allons ici nommer, ont menti au peuple, et qu’ils mériteraient aujourd’hui, un procès exemplaire, au même titre que celui du sang contaminé ou de l’amiante. Preuves que notre pays est le seul à appliquer une loi du silence pour tout ce qui touche au secteur nucléaire. Preuves que la catastrophe peut, à n’importe quel moment, et dans n’importe quel lieu, se reproduire aujourd’hui.

L'effet de Tchernobyl en France a été jusqu'à mille fois sous-évalué

Le 7 mai, puis le 16 mai 1986, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), dirigé par Pierre Pellerin, diffusait des cartes de l'activité totale des dépôts au sol des particules radioactives. Sur le second document, elles s'échelonnaient de 25 becquerels par m2 en Bretagne à 500 Bq/m2 dans l'ensemble de l'est de la France, un chiffre modeste.

En 2005, une carte de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), lointain successeur du SCPRI, reconstituant les retombées de mai 1986, montre un paysage bien différent : les dépôts du seul césium 137 dépassent dans certaines zones (Alsace, région niçoise, sud de la Corse) les 20 000 Bq/m2, avec des pointes supérieures à 40 000 Bq/m2 ! Comment expliquer cette différence d'un facteur parfois supérieur à 1 000 ? En Allemagne, en Italie ou en Norvège, par exemple, sur la base de chiffres non truqués, les autorités jouaient la transparence et le principe de précaution en interdisant la consommation de certains produits laitiers ou de légumes… En Pologne et dans certaines régions d'Allemagne, une partie de la population a même pris de l'iode stable pour protéger sa thyroïde des effets de l'iode radioactif.

En France ? Rien !

Le SCPRI et son directeur Pierre Pellerin : coupables !

On sait aujourd’hui que tout cela a été savamment orchestré. Le vendredi 16 mai 1986, le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua préside une cellule interministérielle au cours de laquelle est rédigée une note manuscrite concernant les informations envoyées à tous les préfets.

Extrait de cette note :

"Le SCPRI informe systématiquement les DDASS, donc les Préfets sont informés. Mais ils ont des infos qui doivent être conservées. Nous avons des chiffres qui ne peuvent être diffusés. Lait de brebis, des chiffres très élevés jusqu'à 10 000 Bq/l. Entre SCPRI et IPSN, accord pour ne pas sortir ces chiffres"

Etiez-vous au courant de cette note ? Combien de français sont au courant de ce scandale politique bien plus grave que notre petit Clearstream actuel ?

Une autre note, rédigée cette fois-ci par les services du premier ministre de l’époque, un certain Jacques Chirac, a aussi été saisie par la justice :

"Des produits dans certains cas risquent d'être dépassés. Des certificats d'innocuité formulés en termes généraux, sans référence à une valeur limite, seront délivrés par les services de contrôle compétents"

Charles Pasqua, Jacques Chirac : coupables ! (en même temps, qui en douterait ?)

Alain Madelin était le ministre de l'industrie au moment du passage du nuage de Tchernobyl sur la France. Dans un reportage qui ne passera sans doutes jamais à la télévision française (nous en reparlerons plus tard), celui-ci déclare : "N'imaginez pas qu'il y ait un lobby des producteurs de lait de brebis qui ait intrigué dans les couloirs de Matignon pour obtenir que l'on cache je ne sais quelle information". Comme le souligne fort justement le Réseau Sortir du Nucléaire, Alain Madelin prend ses concitoyens pour des imbéciles : cet écoeurant lobbying a bien eu lieu, mais c'est par le lobby nucléaire - dont M Madelin fait lui-même partie - qu'il a été mis en oeuvre.

Alain Madelin : coupable !

La censure, 20 ans après

On sait aujourd'hui que la Corse fut la région française la plus touchée par le nuage radioactif. Quels furent les risques encourus, à l’époque, par les populations présentes sur l’Ile de Beauté ? Difficile à dire, encore aujourd’hui. Bien sûr, les conséquences ne sont certainement pas aussi dramatiques que celles que subissent encore nombre de biélorusses, dramatiquement retranscrites dans le reportage Tchernobyl : l'héritage d'une catastrophe dont mon voisin corse parle avec horreur.[1]

Il n’empêche, si un tel reportage est aujourd’hui possible en Biélorussie ou en Ukraine, aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’est toujours pas possible d’en parler librement en France, pays « démocratique », plus de 20 ans après la catastrophe !

Avez-vous entendu parlé de Tchernobyl, la Corse sacrifiée, de Jean-Charles Chatard et Eliane Parigi ? Sans doutes non, à moins que vous ne l’ayez vu fin mars sur France 3 Corse. Libération a récemment évoqué ce remarquable documentaire :

« Cette enquête aborde frontalement la question du mensonge des autorités françaises à l'égard du passage du nuage radioactif sur la France (…) mais aucun diffuseur national n'a jusqu'à présent eut l'envie (le courage ?) de le porter à la connaissance de tous. A partir du cas insulaire, il décortique au plus près le mensonge des autorités françaises, des premiers jours de la catastrophe à aujourd'hui. Les journalistes sont allés questionner les ministres de l'époque (Alain Carignon, Michèle Barzac, Alain Madelin...) sur leur gestion de la crise. Seul Carignon avoue du bout des lèvres que ce fut un échec pour la démocratie tandis que Madelin s'enferre dans ses certitudes moqueuses, voire insultantes. Vingt ans plus tard, dans certains villages corses, on trouve des niveaux de contamination qui n'ont rien à envier à ceux de la Biélorussie ou de l'Ukraine. »

Accordons généreusement les circonstances atténuantes du repentir à Alain Carignon.

Quant à Michèle Barzac : coupable !

Et maintenant ?

Pour l'instant, aucune mise en examen n'est intervenue dans le dossier. Plus de 500 plaintes ont été déposées par des personnes s'estimant victimes d'un cancer lié au passage du nuage radioactif sur la France, ainsi que par la Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité (Criirad) et par l'Association française des malades de la thyroïde (AFMT) qui se sont constituées partie civile. Par ailleurs, une étude scientifique est actuellement menée sur quelques familles dans certains villages corses où ont été relevés des taux de contamination identiques à celles des régions proches de Tchernobyl.

Reste qu’un tel accident est aujourd’hui encore possible. Le réacteur n° 4 de Tchernobyl, contrairement à ce que certains peuvent prétendre, avait été mis en service trois ans seulement avant son accident. Il n’était donc pas « à l’abandon ». Certes, il semblerait qu’il y ait eu certaines erreurs de conception ou d’exploitation, mais celles-ci peuvent également survenir sur nos réacteurs dits « modernes ». Que la France se lance aujourd’hui dans l’EPR est non seulement irresponsable du point de vue écologique (gestion des déchets radioactifs non maîtrisée) mais aussi du point de vue sécuritaire ! Sans compter qu’une centrale nucléaire est de nos jours une excellente cible pour tout apprenti terroriste. Mais de cela, même 20 ans après, je n’ai pas le droit de vous en parler !

Liens

L'echo du Maquis : Tchernobyl mon amour

Revue de presse

Article de Libération

La Terreur par le mensonge

Sortir du Nucléaire

Notes

[1] Diffusé à nouveau sur Planète le 29 mai prochain, à 1h25.