En regardant le journal télévisé de France 2 de 20 heures le jeudi 24 novembre 2005, [1] j'ai bondi sur mon canapé en entendant un reportage particulièrement représentatif de ce que peuvent produire les médias depuis quelques années en matière de discriminations. Ce reportage revenait sur la tentative de meurtre d’une jeune femme par son ancien ami le 13 novembre dernier, fait divers particulièrement représentatif au moment où l’on va organiser la journée internationale pour l'élimination des violences à l'égard des femmes. La dépêche de l’AFP, très sobre comme à son habitude, précisait le 14 novembre :

Une jeune femme a été hospitalisée dans un état jugé très sérieux dimanche après avoir été brûlée vive par son ancien ami à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), a rapporté la police lundi. Selon les premiers éléments de l’enquête de la brigade criminelle, la jeune femme, âgée d’une vingtaine d’années, a été aspergée d’essence par le suspect dans une rue non loin de chez elle. Il a mis le feu et pris la fuite se brûlant au bras, selon des témoins. Le suspect, qui a agi "par dépit amoureux", a été identifié et devait être interpellé "sans délai", selon la source. La jeune femme a été admise à l’hôpital dans un état jugé très grave, a-t-on indiqué lundi.

France 2 revenait donc sur l’évènement, alors que la jeune femme est toujours hospitalisée dans un état grave, en interviewant le frère de la victime. Là où le reportage a commencé à déraper, presque innocemment, c’est quand la victime a été décrite comme d’origine arabe et l’agresseur comme d’origine pakistanaise. Ca aurait pu s’arrêter là, mais le journaliste cru bon de préciser que la famille de la victime était parfaitement bien intégrée dans son quartier.

Je sais, peut-être que je vois le mal partout, mais honnêtement, pouvez-vous me dire ce qu’apporte de plus à l’information les précisions que j’ai volontairement mis en emphase. [2] Peut-être que le journaliste, devinant que l’on puisse le suspecter de discrimination, a cru bon d’ajouter que la famille de la victime était parfaitement intégrée, terme à la mode qui ne veut pas dire grand-chose. (moi-même, je ne me sens actuellement pas très intégré à la France, mais comme je suis d’origine « pur souche », [3] il n’y a pas de journalistes pour s’intéresser à mon cas…) Peut-être que le journaliste voulait dire que si la famille n’avait pas été parfaitement intégrée, ça aurait été bien fait pour sa gueule ? Aurait-il précisé la région de naissance de l’agresseur si celui-ci avait été breton ? Pourquoi n’a-t-il pas aussi fourni d’autres détails tout aussi utiles : les préférences sexuelles, les opinions politiques, les goûts vestimentaires… que sais-je, encore... de l’agresseur ?

Ce genre de chose n’est de toute façon pas nouveau. Déjà, souvenez-vous en 1982, quand Raymond Barre [4] disait, d’une manière ambiguë, suite à l'attentat de la rue des Rosiers, que la bombe avait tué "des Juifs et des Français innocents"… La discrimination, car c’en est bien, volontaire ou non, est rampante et insidieuse. Et elle touche toutes les catégories « minoritaires ». Elle est sans doutes parfois involontaire, mais cela prouve qu'elle est entrée dans le langage courant et que personne n'y fait plus attention, ce qui est tout aussi grave ! (Serait-ce une lepénisation des infos ?) Je suis partisan d’une information brute, où les détails ne sont là que pour faire comprendre ou avancer le débat, et non pour stigmatiser ou jouer sur les émotions compassionnelles populistes.

Car dans le compassionnel, certains journalistes sont forts aussi : quel besoin de préciser, par exemple, le nombre d’enfant de moins de 12 ans tués dans les attentats du 11 septembre ? Quel besoin de préciser qu’une victime brûlée dans un bus est handicapée ? Qu’est ce que ça apporte de plus, si ce n’est un besoin malsain de susciter encore plus d’émotion dans la population ? Si ça continue comme ça, je ne ferai plus que lire les dépêches AFP insipides ! Insipides, mais justes.

Notes

[1] Oui, je sais, je me fais du mal…

[2] Terme de geek pour "italique"

[3] Ce n'est pas totalement vrai, même à moitié faux !

[4] Premier économiste de France, ça c’est pour faire plaisir à un certain Zeble !