La démocratie participative
Par Droop le lundi 20 novembre 2006, 17:33 - Présidentielles 2007 - Lien permanent
Tout le monde en parle, campagne électorale oblige, mais finalement, c'est quoi exactement ?
Il faudrait commencer par se demander ce qu'est une démocratie. Quoi de commun entre les U.S.A., la Russie, la France et la Suède ? Ce sont officiellement tous des pays démocratiques avec des élections pluripartites. Mais le point commun s'arrête là. Le chef de l'état n'est pas élu directement aux U.S.A (et peut même être élu par une minorité de personnes), la censure règne à Moscou, tandis que la parité homme-femme, par exemple, n'est pas respectée en France. Et la Suède, malgré toutes les qualités reconnues de sa démocratie, reste une monarchie.
Le pouvoir du peuple
Voilà sans doute pourquoi on taxe de « populiste » la proposition de jury de citoyens émise par Ségolène Royale. Est-ce vraiment populiste que de vouloir redonner plus de pouvoir au peuple ? Je ne le pense pas et je crois que la candidate socialiste est sincère sur ce projet.[1] L’idée de jury populaire n’est d’ailleurs pas une invention de Madame Royale, et ne date pas vraiment d’hier, comme nous allons le voir.
La démocratie, invention grecque, (de o demos = le peuple et o kratos = le pouvoir) est un système politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple. Le vote n’est qu’un des moyens d’exprimer la volonté du peuple, mais il n’était pas prévu originellement.
Il n’existe pas aujourd’hui de liste établie et certifiée d’états démocratiques. C’est ainsi que les chinois s’estiment vivre dans une démocratie populaire ou bien au contraire que bien des français trouvent que les U.S.A. n’ont plus rien d’une démocratie. Les régimes démocratiques étant variés (républiques, fédérations, monarchies, etc.) et les critères flous, n’importe quel état peut donc se déclarer démocratique.
On a néanmoins l’habitude de distinguer cinq critères établissant une démocratie.
- Choix des dirigeants exerçant le pouvoir par le biais d’élections libres.
- Existence d’une opposition politique organisée, libre de s’exprimer.
- Existence d’un système judiciaire jugeant sur la loi.
- Avoir connu au moins deux alternances politiques.
- Existence de médias indépendants et libres.
On voit bien que l’on a à faire à des critères actuels qui n’ont rien à voir avec ceux de la démocratie originelle voulue par les grecs !
Les trois modèles de démocratie
On l’a déjà évoqué, la démocratie représentative (par le vote) n’est pas la seule forme existante de démocratie, et ce n’est pas le modèle originel. Il existe trois (principaux) modèles de démocratie :
- La démocratie représentative : c’est celle que nous connaissons, les citoyens élisent des représentants qu'ils chargent d'établir les lois.
- La démocratie directe : c’est le modèle imaginé par les grecs, l’ensemble des citoyens s’assemblent et décident des lois.[2] Je ne suis pas expert en la matière, mais peut-être que certaines tribus africaines ou indiennes fonctionnent encore comme cela. C’est en fait l’utopie à atteindre, mais hélas impossible à réaliser avec plusieurs millions de citoyens. (le modèle est cependant envisageable à petite échelle : dans une usine –autogestion-, dans un lycée, dans une coopérative agricole, dans un conseil de quartier, par exemple.)[3] [4]
- Enfin, la démocratie participative est considérée par certains comme une étape intermédiaire entre les deux modèles précédents. Ce modèle est lui-même variable : représentativité par tirage au sort (Stochocratie) ; élections des représentants qu'on charge d'établir les lois, lesquels demandent ensuite aux citoyens de valider ou d'invalider, par référendum, les lois proposées ; ou bien alors jurys populaires chargés de surveiller ou sanctionner les décisions des élus, par exemple.
Les grecs opposaient en tout cas déjà ces deux deniers modèles à celui actuel de la représentativité, refusant même à celui-ci le nom de démocratie pour lui préférer celui d’oligarchie.
Il est démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort, et oligarchique qu'elles soient électives Aristote – Les Politiques IV, 9, 4 Traduction: Pierre Pellegrin - Garnier-Flammarion
L’oligarchie actuelle n’a en effet que très peu à voir avec une véritable démocratie, puisqu’une écrasante majorité de nos élus sont de la même origine sociale, et ont fait les mêmes études (ENA).
Montesquieu, dans l’Esprit des Lois, en rajoutait ainsi une couche :
Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie. Le suffrage par le choix est de celle de l'aristocratie. Le sort est une façon d'élire qui n'afflige personne; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie.[5]
La démocratie participative
C’est un truc à la mode. Chez les gauchistes et les alter mondialistes, mais pas seulement. Les verts, les sociaux-démocrates et certains centristes s’intéressent au sujet. En France, la naissance inévitable d’une future sixième république sur les cendres d’une cinquième agonisante, ainsi que l’approche d’élections présidentielles, ont le mérite de relancer le débat. Certes, l’idée des jurys populaires de Ségolène Royale n’est peut-être pas la plus pertinente ni la plus « bandante », mais bon, elle a le mérite de faire connaître un terme « démocratie participative » aux français, alors que la plupart d’entre eux, en dehors des pictocharentais,[6] n’entravaient que pouic à l’affaire.
Wikipedia nous apprend que la démocratie participative recouvre des concepts permettant d'accroître l'implication et la participation des citoyens dans le débat public et la prise de décisions politiques qui s'en suivent. Exactement ! Cette participation jusqu’à présent ne pouvait de faire que par l’intermédiaire de référendums au bon vouloir de notre président de la république. Elle pourrait aujourd’hui s’envisager par une pétition de citoyens réclamant un référendum, par tirage au sort d’un jury citoyen, etc. Si les modalités restent à définir, la participation citoyenne fait peur aux élus.
Quand, à droite, Villepin s’inquiète de ces fameux jurys, il croit bon de préciser qu’il faut maintenir une confiance aux élus, oubliant que lui-même n’a jamais été élu !
Fabius, toujours aussi perspicace, déclarait quant à lui que cela ferait le lit de l’extrême droite.
Ca marche déjà !
Les exemples de démocratie participative sont nombreux, que ce soit localement ou nationalement.
Les Suisses possèdent ainsi leur droit de pétition et la concertation délocalisée (débats locaux). Les Suisses ont ainsi l’habitude de se déplacer en moyenne quatre fois par an aux urnes, souvent pour résoudre plusieurs questions simultanément !
Les conseils de représentant de la « société civile » sont également de bons exemples : conseil économique et social, comités consultatifs départementaux, conseils de développement, conseils de quartiers ou même conseils municipaux des jeunes dans les agglomérations…
Des jury citoyen ont également vu le jour un peu partout : ils se réunissent, écoutent des experts et remettent rapport soit consultatif ou décisionnel. Au Danemark, c’est la loi sur le génome humain qui a ainsi été débattue. Mais aussi aux Pays-Bas, au Royaume-Uni. Au niveau local cela se fait aussi : le conseil général de Meurthe-et-Moselle a mis en place un jury citoyen à propos du délicat problème de l’abattage des arbres au bord des routes ! Au niveau d’une administration c’est encore plus efficace : l’hôpital de Lille a ainsi considérablement amélioré son fonctionnement.
Bien sûr, d’autres exemples de démocratie participative sont devenus célèbres : Porto Alegre au Brésil, le préambule de la constitution du Venezuela, la région Poitou-Charentes pour la gestion du budget des Lycées, la région Wallonie en Belgique, le Fond de Participation des Habitants de Roubaix, etc.
Par ailleurs, un tirage au sort pour certaines présélections de personnel politique est effectué au Québec.
L’idée lancée par Ségolène Royale, peut-être électoralement, mais on ne peut pas lui reprocher de ne pas l’avoir déjà appliquée localement, intéresse même à l’étranger. Ainsi, Angélique Chrisafis, du « Guardian», déclare : « Le fait que Blair ait peu écouté quand les gens exprimaient leur opposition à la guerre en Irak est pour beaucoup dans la fin de son régime. Et, du coup, l'idée de démocratie participative de Ségolène Royal nous paraît très intéressante.» En France, même à droite, certains se disent qu’une crise comme celle du CPE ne se serait jamais produite avec une consultation citoyenne salutaire.
Même si, comme le disait Winston Churchill, « la démocratie est le pire des régimes, à l'exception de tous les autres », il n’en reste pas moins que l’on peut sans cesse améliorer celle-ci. La fin de régime catastrophique que nous connaissons actuellement en France et la surdité affligeante du pouvoir sur certains points (CPE, DADVSI, lois sur l’immigration, etc.) ne peuvent que nous inciter à imaginer une nouvelle république plus citoyenne et moins aristocratoligarchique !
Sources
Notes
[1] Quand Ségolène Royale déclare à propos d’une éventuelle réforme des régimes spéciaux des retraites qu’« il faut tout mettre sur la table, y compris les régimes de retraite des élus et des parlementaires », là par contre, on est en plein populisme !
[2] La démocratie athénienne avait une notion restreinte de la citoyenneté, excluant les femmes et les esclaves
[3] Exemples fameux de démocratie directe : la Commune de Paris (1871), les soviets de Russie (1905 et 1917 à 1921), les conseils ouvriers en Allemagne et en Italie (1918-1920), les communautés libertaires espagnoles (1936), les conseils ouvriers hongrois (1956).
[4] Philosophes partisans de la démocratie directe : Jean-Jacques Rousseau (qui écrit notamment une ébauche de ce qui aurait été la première constitution au monde : constitution de démocratie directe pour la Corse en 1764. (même que j’en ai un exemplaire !)) et Proudhon ou Kropotkine pour la mouvance anarchiste.
[5] Un Mitterrand aurait sans doute cité cela pour se défendre, pas une Royale…
[6] En un seul mot, je suis tout de même né là-bas, donc je sais ce que j’écris non mais !
Commentaires
Ô que ça fait plaisir de lire une analyse pertinente et documentée !
En revanche, tu l'auras sans doute deviné, je ne suis absolument pas d'accord sur la conclusion, populisme ou pas, le concept de démocratie participative n'est pas viable, et pire, dangereux.
Regardons nos exemples : Athènes, cité de combien, allez, 20.000 habitants à tout casser, des procès dans tous les sens contre le stratège ou autres hauts-fonctionnaires élus, et de temps en temps, un Socrate sacrifié parce que l'on n'y comprend rien. D'ailleurs, à force de faire n'importe quoi, on se fait balayer comme un rien, les Romains en savent quelque chose.
En Suisse, pays dont la xénophobie (pour être très très gentil) ne fait plus aucun mystère, bonjour l'ambiance. Remarquons que si dans la Grèce antique le citoyen est un homme riche (système censitaire), excluant bien du monde (la très grosse majorité même), en Suisse il faut être d'un certain niveau de vie d'entrée de jeu, ainsi c'est encore plus rapide, le tri est fait à l'entrée...
Quant aux autres exemples, ils interviennent sur des sujets mineurs, concernant un certain nombre de personnes bien inférieur à 60 millions, à des niveaux très locaux.
En fait, tu mets le doigt exactement où cela ne va pas : ce n'est plus une oligarchie mais une aristocratie à laquelle on a droit. Des crises comme le CPE n'arriveraient pas si les élus connaissaient un tout petit peu leur job, tout simplement. Idem pour des lois liberticides, dont celle qui concerne bien du monde de manière bien caché, la dadvsi (mais la LEN n'est pas mieux). On voit bien que le boulot de l'élu est devenu bien égoïste, manipulant en permanence le peuple pour arriver à ses fins. Faut-il alors agir comme les Grecs et faire des procès à tout bout de champ ? (oui, on sait, Chirac en prison, tout ça...)
Il y a dans ma phrase un mot important : élu. Les parlementaires n'ont pas eu leur poste par l'opération du Saint-Esprit, ils ont fait campagne, et le peuple leur a donné sa confiance, à chacun d'eux. Alors comment un peuple qui se laisse si facilement berner peut-il tout à coup devenir une référence politique ? Tirer au hasard, est-ce si représentatif ? Cela est plus que naïf, c'est totalement contradictoire.
Reste que même si le peuple était vertueux et instruit (ie le pouvoir ne servirai presque à rien, si ce n'est à faire interface), certains pensent qu'il se lasserait de tant de lourdes responsabilités. Il s'agit de Montesquieu, justement ("lettres persanes", l'histoire des Troglodytes, lettre XIV).
Alors, que penser ? Aux USA a été mis en place le système des grands électeurs pour "corriger" à peu près le tir, en France on voit cela avec l'élection de la seconde chambre parlementaire, le Sénat, qui se fait à travers les maires. Pourquoi d'ailleurs qualifier notre Vème République d'agonisante ? Elle a été dénaturée au fil des ans (quinquennat, etc), mais je ne vois pas trop ce qu'on lui reproche. Les ministres (de manière indirecte), parlementaires, conseillers régionaux et généraux tout comme les maires ont tous été élus, par ce peuple que l'on encense tout à coup et à qui l'on prête des vertus divinatoires, leur inefficacité et leur corruption, gage de médiocrité, si ce n'est plus, devrait donc être largement détectée par les citoyens. Qui est notre Président déjà ? Pas gagné, hein ?
Merci pour le compliment !
Sinon, nous n'avons effectivement pas les mêmes conclusions. Même si je tiens à préciser que je trouve l'idée de jury populaire tiré au sort non pas dangereux mais inutile. Cependant la proposition a le mérite d'ouvrir le débat et de faire connaitre au plus grand nombre le concept de démocratie participative.
Je n'ai rien contre la cinquième république, elle a prouvé en maintes occasions de notre histoire "chaude" de la deuxième partie du 20ème siècle qu'elle tenait la route et assurait le bon fonctionnement des institutions en cas de crise ou de cohabitation. Cependant je pense qu'elle est aujourd'hui un peu désuète face aux exigences que nous sommes en droit d'avoir d'une démocratie plus moderne et plus à l'écoute du peuple.
Le sénat, ça ne tiendrait qu'à moi, je le supprimerais ! Quitte à le remplacer par une chambre consultative de représentants de la société cicile, pourquoi pas. (ong, syndicats, patronat, scientifiques, juristes etc.) Les modalités et le consensus seraient sans doute difficiles à mettre en place, mais ça vaudrait le coup de se pencher sur la question il me semble. La question du non cumul des mandats, de l'indépendance effective de la justice, de la parité, ou de l'imunité présidentielle ne peuvent à mon avis faire l'économie d'une nouvelle constitution. Je ne dis pas que tout est à jetter, mais je pense qu'il y a tellement d'améliorations à apporter qu'on ne peut pas se contenter d'une simple révision de la constitution actuelle !
Pour ce qui est de la démocratie participative, je pense également comme toi qu'elle est plus intéressante à appliquer au niveau local. (tu as quand même passé l'exemple de Porto Alegre qui est tout de même une réussite, certes pas parfaite, mais quand même !) Néanmoins (on doit bcp moins bien respirer !), je pense qu'on devrait introduire aussi le droit d'initiative populaire, concept beaucoup plus intéressant que le jury citoyen. Une pétition signée par un nombre prédéterminé de citoyens pourrait obliger le gouvernement à soumettre une question au référendum, que ce soit une proposition de loi ou au contraire l'abrogation d'une loi existante. Le premier qui me dit que c'était dans le TCE, je lui casse la gueule...![;-)](/dotclear/themes/kolkhoze/smilies/wink.png)
Au fait:
"Les ministres (de manière indirecte), parlementaires, conseillers régionaux et généraux tout comme les maires ont tous été élus (...)"
... sauf notre premier sinistre !
Yep, sauf notre premier ministre, mais bon, petit détail ;). Pour le remplacement du Sénat, c'est une idée, mais cela existe déjà, sous une certaine forme, ces consultation d'experts en colloque. L'idée d'une seconde chambre, c'est surtout qu'elle doit être formée selon un autre mode de scrutin (si elle est élue, en Angleterre, c'est la chambre des Lords qui assure ce rôle) afin de bien mettre en balance les décisions. D'un autre côté, quand on voit ce qu'accepte le Sénat sans broncher, on est en droit de se poser des questions (et puis, tout le monde sait que le mode d'élection favorise largement trop les campagnes conservatrices en réalité sous-représentative, de telle sorte que le Sénat a toujours été de droite).
Il faut patcher notre constitution, c'est certain, et mieux qu'en écourtant le mandat présidentiel (quel contresens !). Mais comme on a une vraie constitution (pas un traité constitutionnel blablabla), elle ne fait que 12 pages en comptant la page de présentation, bref, on en a vite fait le tour, ça laisse beaucoup de marge de manoeuvre.
Pour l'idée de la pétition populaire afin de s'opposer à une loi, comme cela est possible dans une certaine mesure en Suisse (on peut là-bas aussi faire cela avec huit cantons contre, me semble-t-il), c'est une fort bonne idée. D'un autre côté, 150.000 signataires (dont des petites boîtes comme Sun ou IBM) contre DADVSI, ou des centaines milliers de personnes dans la rue contre le CPE n'ont eu soit aucun effet, soit très peu. Ce qui tend à prouver quelque chose : ce n'est pas tellement une possibilité de poids législatif de la pétition qu'il faut, mais des élus intelligents (je sais, cela confine à l'oxymore). Et je ne suis pas certain que la cause de tous nos maux soit que notre Premier Ministre n'ait jamais été élu de sa vie, une politique ne repose pas sur un homme seul. Et par ailleurs, notre Président est ce qu'il est, et Sarko est donné très en avant dans les sondages, quand bien même il a fait parti du gouvernement depuis tant de temps. Le peuple n'apprend rien (après le ministère plus que catastrophique de Chirac, de toute façon, il a décidé de l'élire président, et deux fois plutôt qu'une, après ça, plus rien n'étonne ; idem en 68, l'année d'après, c'était Pompidou qui remportait les élections).
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